Elus locaux

 

Faire face aux différents risques du droit pénal

 

Publié le • Par Auteur associé • dans : Fiches de droit pratique

 

 

Les collectivités doivent faire face à de nouveaux risques du droit pénal. Lanceur d'alerte, transparence de la vie publique, protection fonctionnelle… sont autant de risques synonymes de nouvelles obligations notamment pour las élus locaux.

 

 

Julia Rotivel, Avocate - Cabinet Goutal, Alibert et associés

 

 

 

Composer avec les lanceurs d’alerte

Malgré l’obligation établie faite aux fonctionnaires de signaler au procureur de la République des faits constitutifs d’un crime ou d’un délit, ce n’est qu’à compter de la loi du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique financière que le législateur a doté leur statut d’un dispositif de conciliation de cette obligation avec le respect du devoir de réserve et d’obéissance hiérarchique.

L’article 6 ter A de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires interdit à cet effet à leur employeur de prendre à l’encontre des agents de bonne foi une sanction disciplinaire ou toute autre mesure relative à leur carrière. La loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires a élargi cette protection aux signalements de situations de conflit d’intérêts.

Dans cette hypothèse, il est imposé de faire état des faits litigieux à sa hiérarchie ou au référent déontologue avant toute saisine du procureur de la République. Malgré l’importance croissante du rôle des lanceurs d’alerte dans l’engagement de poursuites, un tel dispositif n’est pas prévu pour les signalements relatifs à des faits de nature pénale ; dans ce cas de figure, la prise en charge par la personne publique employeur de cet agent n’est pas encadrée.

Toutefois, il est certainement préférable d’accompagner l’agent dans sa démarche et d’écarter toute sanction à son encontre tant que sa mauvaise foi ne peut être caractérisée. Au demeurant, aucun a priori ne doit guider l’appréciation des griefs de l’agent dont les conclusions peuvent permettre à la collectivité d’améliorer la gestion de son action.

Ne pas sous-estimer le champ d’application de la prise illégale d’intérêt

L’intérêt exigé par l’article 432-12 du code pénal n’est pas défini. Il peut être « quelconque ». La jurisprudence en a déduit que cet élément constitutif du délit de prise illégale d’intérêt pourrait être interprété extensivement et conduire à de nouvelles hypothèses de qualification de l’infraction. C’est ainsi que la Cour de cassation a reconnu que n’est pas exclusivement visé l’intérêt personnel et privé de la « personne dépositaire de l’autorité publique ou chargée d’une mission de service public ou […] investie d’un mandat électif public » mais également un intérêt général concurrent (crim., 22 octobre 2008, pourvoi n° 08-82.068).

Nullement isolée, la sanction par le juge pénal du cumul d’intérêts publics a été confortée par la nouvelle définition du conflit d’intérêts, consacrée par la loi du 11 octobre 2013 relative à la transparence de la vie publique, et reprise par la loi du 20 avril 2016 relative à la déontologie et aux droits et obligations des fonctionnaires : « Toute situation d’interférence entre un intérêt public et des intérêts publics ou privés qui est de nature à influencer ou à paraître influencer l’exercice indépendant, impartial et objectif d’une fonction. »S’agissant toujours de la notion d’« intérêt quelconque », la Cour de cassation, le 13 janvier 2016 (crim., pourvoi n° 14-88.382) a validé le raisonnement selon lequel « les liens amicaux et professionnels entre le prévenu et le candidat choisi, et leurs multiples contacts téléphoniques, jettent la suspicion sur l’impartialité du choix du candidat ; que la cour étant tenue de donner aux faits poursuivis leur exacte qualification, elle requalifiera en prise illégale d’intérêt les faits qualifiés de favoritisme dans l’acte de poursuite ».

Affirmant qu’il est possible de sanctionner un conflit d’intérêts potentiel, cet arrêt confirme également l’extension de l’intérêt indirect susceptible de constituer la prise illégale d’intérêt. Autrefois limité aux seuls membres de la famille du mis en cause, il est désormais clairement étendu à son réseau amical.

Viser l’irréprochabilité en matière de conflit d’intérêts

Compte tenu de la tendance jurisprudentielle évoquée et eu égard à l’importance des poursuites et condamnations en matière d’atteintes à la probité, une grande vigilance est de rigueur. Aujourd’hui, plus que jamais, il convient de veiller à écarter toute suspicion de conflit d’intérêts - même publics - dans le cadre de l’adoption des décisions des personnes publiques. Ainsi, les élus dirigeants d’un satellite (association paramunicipale, OPH, CCAS, Sem…) de la collectivité territoriale au sein de laquelle ils sont élus semblent devoir s’abstenir de participer - et a fortiori de voter - aux délibérations susceptibles de concerner ledit satellite, notamment par l’octroi de subventions. Et l’inverse semble également s’imposer dans l’hypothèse où une décision du satellite de la collectivité territoriale concernerait cette dernière.

Techniquement, l’interdiction de participer à quelque titre que ce soit au vote de la subvention impose d’élaborer des délibérations spécifiques à chacune d’entre elles ; ce formalisme permettant d’attester sans équivoque de la mise en retrait de l’élu concerné pendant l’intégralité du processus de vote de la délibération. Les seules apparences pouvant constituer un conflit d’intérêts, il convient de les soigner. Pour ce faire, il est également indispensable d’inscrire dans les procès-verbaux des assemblées délibérantes la sortie de la salle et l’abstention des élus concernés par un potentiel conflit d’intérêts.

Rester vigilant s’agissant de l’attribution des marchés publics

La forte crise qui touche l’économie française peut conduire les élus à souhaiter introduire dans les marchés publics des critères relatifs à la proximité géographique afin de sauver les entreprises locales en difficultés. Cette tentation est d’autant plus forte qu’elle trouve des relais dans les enjeux écologiques actuels qui tendent à privilégier des circuits courts de distribution. Enfin, l’introduction par les réformes récentes de dispositions tendant à favoriser la participation des petites et moyennes entreprises aux marchés publics pourrait conduire à penser que de telles mesures sont possibles. Il n’en est rien. La réglementation des marchés publics interdit toujours de sélectionner des candidats sur le fondement de critères relatifs à l’origine géographique.

Malgré les bonnes intentions qui l’habitent, cette pratique doit être évitée. Le risque de condamnation pour le délit d’octroi d’avantage injustifié – autrement appelé délit de favoritisme – est toujours important, et ce d’autant plus que la Cour de cassation a récemment décidé (crim., 17 février 2016, pourvoi n° 14-87.934) que ce délit s’applique non seulement aux marchés conclus en application du code des marchés publics, mais également à ceux relevant de l’ordonnance du 6 juin 2005 relative aux marchés passés par certaines personnes publiques ou privées non soumises au code des marchés publics.

Examiner scrupuleusement les demandes de protection fonctionnelle

Les agents publics ou les élus qui font l’objet de poursuites pénales sont en droit d’obtenir la protection fonctionnelle à condition qu’aucune faute personnelle détachable de l’exercice de leurs fonctions ne leur soit imputable. Si la protection fonctionnelle peut être demandée en cours de procédure, c’est généralement au début de celle-ci qu’elle est sollicitée pour permettre une prise en charge effective. La personne publique qui statue sur cette demande dispose alors d’éléments peu nombreux.

Il est ainsi opportun d’organiser une enquête afin de disposer de l’intégralité des éléments nécessaires à une instruction éclairée, les risques pesant sur l’octroi infondé de la protection fonctionnelle n’étant pas anodins. Le juge pénal, n’étant pas lié par la définition « administrative » de la faute personnelle, l’issue de la procédure pénale peut conduire au remboursement des frais pris en charge au titre de la protection fonctionnelle. « L’initiateur » de la décision d’octroi de la protection fonctionnelle, quant à lui, peut voir sa responsabilité pénale engagée.

La Cour de cassation, dans un arrêt du 22 février 2012 (crim., pourvoi n° 11-81.476), a en effet confirmé la condamnation d’un président de l’organe délibérant d’une collectivité territoriale du chef de favoritisme pour avoir octroyé la protection fonctionnelle à un élu condamné du chef d’octroi d’avantages injustifiés, au motif que le président avait nécessairement connaissance du caractère personnel de la faute justifiant la demande de protection fonctionnelle. Une lecture alarmiste de la jurisprudence de la Cour de cassation pourrait donc aboutir à considérer que les agissements des agents et des élus poursuivis du chef de favoritisme, même commis dans l’exercice de leur fonction, soient invariablement qualifiés de faute personnelle.

Accentuer la prévention des accidents et la gestion des risques d’ordre pénal en découlant

Le risque pour un élu ou un agent public de condamnation du chef d’homicide ou blessures involontaires n’est pas récent. Déjà en 1970, le maire de la commune de Saint-Laurent-du-Pont a été condamné à 10 mois d’emprisonnement avec sursis consécutivement à l’incendie de la discothèque du 5-7.

Ce risque est malheureusement toujours d’actualité, l’affaire Xynthia marquant un tournant dans la répression de ces infractions à l’encontre des élus. En première instance, le tribunal correctionnel des Sables-d’Olonne avait condamné le maire de la commune de La Faute-sur-Mer à une peine de quatre années d’emprisonnement, partiellement assortie de sursis. A hauteur d’appel, rendu le 4 avril 2016 par la cour d’appel de Poitiers, l’adjointe à l’urbanisme a été relaxée, la peine du maire réduite à deux ans d’emprisonnement avec sursis, bien qu’assortie d’une interdiction définitive d’exercer une fonction publique, et la qualification de faute personnelle remise en cause.

Même allégée, la peine prononcée à l’encontre du maire de la commune de La Faute-sur-Mer est remarquablement sévère. En cet état, et malgré la raréfaction des ressources publiques, il convient de redoubler de vigilance pour prévenir tout accident. La gestion des éventuelles conséquences pénales de ceux-ci doit également être anticipée, notamment par la mise en œuvre de délégations répondant aux exigences du juge pénal. Enfin, il est conseillé de procéder à la publicité des délégations pour garantir leur efficacité.

La réglementation des marchés publics interdit de sélectionner des candidats sur la base de critères relatifs à l’origine géographique. Le risque de condamnation pour délit de favoritisme est toujours important.